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décembre 29, 2005
Dîner de Noël à la campagne
À l'instigation de Colette, qui a partagé ses souvenirs d'enfance avec nous, je publie ce texte que je dédie à ma tante Marcelline.
Pendant plus de 10 ans, à tous les 25 décembre, nous avons été invités à partager le dîner de Noël chez ma Tante. Nous empruntions le chemin du Bord de l'eau qui semblait s'étirer plus que de raison. Enfin, la terrible courbe d'Albany Lafleur, l'humble maison de Cazout et finalement la blanche maison d'Albert Frappier, fidèle portière du rang d'Argenteuil que l'hiver encadrait toujours de gigantesques bancs de neige.
La Route, enfin! Après le droit ruban d'asphalte bordé de champs - où le vent et la neige dansent le même rigodon année après année - la courbe des Langlois, la maison de Zoël, la maison abandonnée du Vieux Maurice et enfin, celle de ma Tante.
Toujours lorsque nous approchions, le rideau en filet bleu se soulevait légèrement. Mon oncle, à qui rien n'échappait, nous avait repérés. Brigitte était toujours la première à apparaître à la fenêtre, ma Tante en arrière-plan, une robe chic protégée d'un humble tablier.
Dans l'entrée, nous étions accueillis pas des rires et par des cris. J'entends encore ma Tante me dire "Joyeux Noël, ma Tarzile". J'avais l'impression de faire partie de sa famille. Brigitte m'attirait invariablement dans le salon, me montrant son sapin avec fierté. Orné de belles boules anciennes et de cheveux d'ange, c'était un sapin sauvage, imparfait, aux aiguilles qui piquètent les planchers, dont les branches s'étaient étirées sans contraintes dans le petit boisé situé à l'extrémité du pacage.
Elle me disait à peu près toujours "As-tu vu notre sapin? Il est beau, hein?" J'acquiesçais en me demandant comment elle pouvait se pâmer pour un tel chicot. Dire que j'ai cherché pendant près de 30 ans avant qu'un chicot semblable puisse orner mon salon!
Ensuite, Brigitte me montrait son cadeau de Noël. Je me rappelle du four Easy Bake, de la trousse de médecin et du jeu de Monopoly. Je me souviens aussi d'une poupée garçon qu'Ève reçut et qui causa une mini commotion au moment du changement de couche.
Après ces présentations d'usage, nous prenions place dans l'escalier qui conduisait aux chambres du haut. Nous avions une vue sur toute l'assemblée et jouissions d'une relative intimité pour échanger nos confidences.
Enfin, le moment du festin. Nous étions 17 autour de l'immense table Giard. On riait, on parlait. Mon oncle était donc content de voir ses invités heureux à sa table. Ma Tante s'affairait aux chaudrons, bien secondée par sa fille aînée, discrète et efficace.
Quelle tablée. Les tourtières au boeuf à la croûte riche et dorée, les pâtés au poulet, les pommes de terre pilées gorgées de beurre et de sel, une sauce brune divine, la dinde, les petits cornichons sucrés, les olives farcies. Est-ce que Brigitte, Ève et moi cessions de parler en mangeant? Honnêtement, non. Entre deux bouchées et trois phrases, nous regardions dehors. Il neigeait à plein ciel.
Il n'y avait pas d'alcool à la table de ma tante. Mais quand nous avons été plus grandes, il y eut du punch. Le bol à punch de ma Tante me fascinait. Immense, il était d'un pêche iridescent. On y voyait des reflets bleus, des reflets verts, des reflets mordorés. Brigitte m'invitait à lever le coude. Nous nous payions la traite. Je me souviens même qu'un Noël, nous croyions bien avoir abusé du doux nectar et nous être enivrées. Nous étions rouges et prises d'un interminable fou rire. D'après ce que j'en sais, le punch ne contenait que des jus de fruits, des cerises au Marasquin et du 7Up! Quoiqu'il en soit, punch et plats principaux étaient toujours suivis par les desserts.
Traditionnels carrés aux dattes, moelleux carrés au chocolat et à la guimauve, divins bâtonnets aux cerises, barres à la noix de coco, sucre à la crème, fudge, bûche de Noël et inoubliables tartes mousseline à l'érable. Ces divinités étaient arrosées du lait trait le matin même ou du thé Salada bien fort qui jaillissait de la théière pansue de ma tante. À ce moment-là, je suis presque certaine que nous nous taisions pour jouir de l'instant béni.
Nous ne rechignions jamais pour participer à la corvée de vaisselle, dirigée par C. qui s'attaquait à la montagne avec beaucoup de courage. La cuisine n'était qu'un autre lieu pour continuer nos palabres. Les sujets de conversation ont changé au fil des ans, l'ardeur, elle, n'a jamais fait défaut.
Après la vaisselle, les jeux de société. Monopoly, Clue, Les Grands Maîtres, Mille bornes. L'horloge grand-mère sonnait quatre heures toujours trop tôt. Mon oncle se préparait pour la traite des vaches. Nous allions continuer la fête chez Grand-mère Berthe. Noël s'achevait déjà. Nous nous quittions à regret. Avec la promesse de se revoir au Jour de l'An.
Au cours des années, nous n'avons jamais échangé d'étrennes. Nous nous sommes plutôt donné des souvenirs impérissables. Je le sais aujourd'hui, c'est là l'essence même de Noël.
© Tarzile.com, 1999-2006
Commentaires
bien belle histoire ; elle pourrait même commencer par "il était une fois" !
une vraie histoire de Noël, quoi !
Publié par : dumè le décembre 29, 2005 04:46 PM
Très émouvant Tarzile !
Publié par : Papilles&Pupilles le décembre 29, 2005 06:00 PM
OUI ,jolie histoire ,souvenir émouvant et qui reste au fond du coeur...Histoire à raconter un jour à tes petits enfants.
Publié par : Colette le décembre 29, 2005 08:17 PM
Qu'est-ce que tu ecris bien ! Tu as bien fait de consigner tes souvenirs par ecrit, tu seras tellement heureuse de les relire plus tard.
Publié par : Estelle le décembre 29, 2005 08:35 PM
Il est encore tôt, ce matin, lorsque je lis ton beau récit de Noêl...
Je ne sais pas si je termine un rêve enneigé , si je viens d'ouvrir un beau livre de contes de Noêl ou bien si la neige qui tombe dehors à gros flocons m'emmène vers la nostalgie de mes souvenirs d'enfance....
Tu écrit si bien qu'on se transporte facilement dans ton beau pays aux hivers et aux traditions féériques, faisant fi des distances et du temps qui passe !
On plonge , avec délice et sans retenue, dans cet univers de ton enfance et on comprend encore mieux pourquoi on aime tant ta personnalité...
Est-ce donc cela la magie de Noêl?
Publié par : mary le décembre 30, 2005 12:08 AM
C'est magnifique Tarzile.
Publié par : Mijo le décembre 30, 2005 04:15 AM
Ton récit est très émouvant et nous montre bien le plaisir de la fête de Noël et des retrouvailles familiales. Merci pour ce beau moment !
Publié par : Choupette le décembre 30, 2005 04:15 AM
Ton récit est très émouvant surtout à une époque où la magie de Noel a parfois du mal à pointer le bout de son nez. Très bon réveillon à toi.
Publié par : pascale le décembre 30, 2005 08:26 AM
Merci beaucoup pour vos bons mots. J'ai de la chance d'avoir de merveilleux souvenirs.
Tarzile
Publié par : Tarzile le décembre 30, 2005 10:24 AM
En cherchant table Giard j'ai trouvé cet article. J'aimrais savoir qui est le ou la narratrice.
Publié par : Normand Poirier le septembre 22, 2007 01:05 PM